L’avenir de La Poste ? Transformation et proximité ! – Diane Abrahams

Face à l’inexorable chute du volume de courrier et l’ouverture à la concurrence au début des années 2000, le Groupe La Poste se devait d’innover et se diversifier. Après la création de La Banque Postale en 2006 et la digitalisation progressive de ses offres, l’objectif : « La Poste 2020 : conquérir l’avenir » souhaitait transformer en profondeur le Groupe. Alors que ce plan stratégique s’achève, Choiseul Magazine s’est entretenu avec Diane Abrahams, Directrice de la stratégie, sur ses résultats. L’occasion de l’interroger sur la construction d’un nouveau plan à l’horizon 2030, en pleine crise sanitaire et à l’heure de nouveaux bouleversements.

  • En 2014, La Poste présentait son plan stratégique : « La Poste 2020 : conquérir l’avenir » avec l’objectif d’accélérer la transformation du Groupe et devenir la première entreprise de services de proximité humaine. Alors que ce plan touche à sa fin, quels enseignements en tirez-vous ?

« Conquête » était le bon mot : la chute du volume de courrier (divisé par 2 en 10 ans), notre activité historique, ne nous laissait pas d’autre choix que d’aller sur de nouveaux secteurs. En 2020 par rapport à 2014, la part du chiffre d’affaire du Groupe liée au courrier traditionnel aura baissé de 16 points, alors même que le CA augmente d’environ 35% : c’est plutôt une conquête réussie ! Un tiers du chiffre d’affaire du Groupe en 2019 est réalisé à l’international, via le colis, l’assurance, les services numériques…

Cependant les taux d’intérêt bas, la crise sanitaire, la révolution numérique, fait que notre modèle n’est toujours pas pérenne : le prochain plan stratégique doit y répondre.

Nous devons aussi continuer à nous transformer : distribuer les plis et colis en quelques heures à 26 millions de foyers cache déjà une logistique industrielle massive, mais aujourd’hui le client final veut de l’information personnalisée, du suivi en temps réel, du service additionnel. Nous nous transformons pour y répondre.

  • L’un des piliers du plan stratégique était le projet « 20 projets d’intrapreneuriat pour 2020 » qui donnait la possibilité pour les collaborateurs de participer à la transformation du groupe en se faisant entrepreneurs internes. Comment se déroule ce programme ? Combien de projets ont été retenus et comment accompagnez-vous ces nouvelles start-ups ?

Nous avons en effet été parmi les premiers grands Groupes français à lancer un programme d’intrapreunariat en 2014. L’émulation n’a pas faibli en 6 ans, c’est un programme impactant en terme de culture interne et de marque employeur : 4500 postiers de 11 pays ont contribué, parmi eux 320 finalistes ont été challengés en bootcamp pendant 2 mois, et 16 équipes lauréates ont finalement développé une « start-up interne »,  plongés dans le marketing d’offre, le choix des matériels et fournisseurs, le pricing, le process, le site web, le business plan… 4 de ces filiales sont encore en activité (je vous invite à découvrir les solutions de Kidscare ou encore Afrik’Easy), d’autres ont rejoint les Business Units du Groupe.

En revanche, le chiffre d’affaire généré n’est clairement pas au niveau attendu au lancement du programme, et qui était sans doute, avec le recul, peu réaliste : le propre de l’entrepreunariat c’est aussi le taux d’échec.

Nous sommes en train de réfléchir à la suite. Se dire, en tant que postier, que si on a une idée de business, on peut la proposer à son entreprise, qu’elle mobilisera des experts pour la challenger, et qu’elle peut vouloir la porter, c’est quelque chose de puissant. À nous de faire fructifier ensuite cette envie entrepreunariale et la transformer en valeur ajoutée pour le Groupe.

Nous avons plusieurs autres outils d’innovation dans le Groupe, parmi lesquels Plateforme58, un incubateur de Fintech et d’Insurtech early stage au cœur de Paris, ou encore le Concours FrenchIOT, dédié cette année aux solutions à impact positif. Pour un Groupe multimétiers devant sans cesse se réinventer, l’open innovation est une inspiration vitale.

  • Toujours dans une démarche collaborative et participative, La Poste a lancé une grande consultation nationale pour préparer le nouveau plan stratégique à l’horizon 2030. Quels grands axes semblent se dégager ?

En effet, à La Poste on ne réfléchit pas sans les postiers, c’est un de nos marqueurs, et venant de l’opérationnel, j’y tiens particulièrement. À l’heure où je vous parle, plus de 130 000 postiers ont déjà participé à cette grande consultation sur l’avenir de La Poste. Cette année, nous sommes allés plus loin : comme La Poste concerne tout le monde, tout le monde était invité à participer jusqu’au 30 novembre, il suffisait d’aller sur le site internet de La Poste.

À ce stade, parmi les axes qui se dégagent, il y a la confirmation d’un fort besoin de proximité humaine, sur tous les territoires, que La Poste peut et veut incarner. En même temps que l’engagement des postiers est salué, l’exigence sur la qualité de service est élevée. Nos nouveaux services, pour les séniors, pour l’inclusion numérique, pour l’environnement (La Banque Postale sera 100% ISR dès 2020 !), sont des objets de fierté et nos clients les solliciteront d’autant plus que nos activités socles répondront à leurs attentes de qualité de service.

Cette grande démarche participative, où nous interrogeons aussi les élus, nos clients professionnels, nos partenaires, nos fournisseurs, est encore en cours : attendons la fin pour en tirer les conclusions dans notre prochain Plan Stratégique, qui sera présenté au Conseil d’Administration en février 2021.

  • La crise sanitaire va-t-elle modifier les plans initialement prévus ?

La crise accélère les tendances qui étaient déjà là : les volumes de courrier décrochent en 2020 (>-20% alors que la tendance annuelle était autour de -7%), ainsi que la fréquentation des Bureaux de Postes dans le même ordre de grandeur. De l’autre côté, l’explosion des commandes en ligne par les particuliers augmentent nos volumes colis de 20 à 30% et notre plateforme laposte.fr a atteint 35 millions de visiteurs uniques par mois pendant le confinement.

Cela challenge fortement nos équipes et nos installations, mais économiquement, cela ne suffit pas à rétablir l’équilibre. Le principal impact de la crise sanitaire, en ce qui concerne les réflexions stratégiques, est donc d’accélérer nos transformations d’environ 3 ans.

À noter, le besoin de poste qui s’est exprimé pendant le premier confinement a été très fort : nous vivons donc un questionnement sur notre modèle économique, mais pas sur notre existence. Le passage du facteur, l’ouverture du bureau de poste, la réponse du conseiller de la banque postale, la disponibilité de notre site internet, se sont révélés essentiels, quand bien même le volume de courrier et la fréquentation des bureaux de poste chutent. Nous avons un rôle sociétal fort, hérité de 6 siècles d’histoire, et qui dépasse les services et produits que nous vendons. C’est un honneur, et un défi !

  • La France est entrée dans une nouvelle période de confinement. Au printemps 2020, vos services ont été fortement réduits ; cette fois, les bureaux de postes sont restés ouverts. Comment le Groupe s’est-il organisé pour maintenir ses services opérationnels ?

Quand on est un employeur responsable, on ne peut pas mettre en risque nos millions de clients quotidiens, on se devait d’équiper nos 250 000 postiers de masques, et nos bureaux de poste de protections en plexiglas, avant tout contact avec le public. De plus, parmi nos 17000 points de contact sur le territoire, 7000 sont des agences postales communales dans les mairies, 2900 sont des relais poste commerçants : s’ils sont fermés, nous aussi. Or, le pays était confiné depuis seulement 3 semaines quand nous avons permis à près de 1,5 million de personnes de percevoir leurs prestations sociales dans nos bureaux de poste. Nous avions un stock stratégique important de masques en bon état : nous en avons offert 1 million à l’AP-HP, 500 000 à la RATP, plus de 300 000 à la police nationale. Nous avons rendus gratuits plusieurs services comme « Veiller sur mes parents », pour les seniors, ou « Ma Ville mon Shopping », une plateforme de vente en ligne de proximité, qui permet aux petits commerces et artisans de quartier de proposer leurs produits à retirer en magasins, ou en livraison à domicile par le facteur ou les coursiers de notre filiale Stuart.

Je ne suis pas sûre qu’il ait été rendu hommage à cette réactivité et cet engagement de toutes les équipes : disons que cela démontre encore plus l’attente sociétale aiguë envers La Poste.

Nous nous sommes bien sûr mieux préparés pour ce deuxième confinement, notamment en ayant plus coordonné nos Plan de Continuité d’Activité avec ceux de nos partenaires. Par exemple Pickup, le réseau de relais du Groupe La Poste, réussit, malgré le contexte sanitaire, à maintenir 10 000 relais commerçants ouverts, sur 13 000 habituellement. Un dispositif de renfort de plus de 9 000 emplois va venir soutenir la mobilisation des postiers, en particulier pour les volumes très importants de colis. En plus des opérations bancaires à distance, on peut aussi faire des envois depuis chez soi, ce qui est particulièrement adapté en ce moment : je conseille à tout le monde l’affranchissement et l’envoi de colis depuis sa boîte aux lettres, c’est addictif !