Vera Songwe, Secrétaire générale-adjointe de l’ONU : « l’Afrique au cœur »

Elle regarde toujours son interlocuteur intensément. Comme si lui seul comptait le temps de la conversation ; son sourire plein de charme et ses grands yeux ne vous quittent jamais. Son extrême courtoisie se double d’une puissante capacité de concentration qui a dû lui être utile quand elle était jeune lycéenne en rouge et blanc de la Our Ladies of Lourdes College dans la banlieue de Bamenda, ville de l’Ouest du Cameroun située dans la partie anglophone. Une région qui désespère de se faire reconnaître par les 80% de la partie francophone, restée dans le déni de cette différence. Augmentant les frustrations des uns et les exactions des autres comme au village de Ntumbo où des militaires aidés par un groupe d’autodéfense assassinent 22 civils dont 14 enfants de cette partie anglophone. Sanctionnés quelques semaines plus tard toutefois par le gouvernement camerounais.

C’est sans doute cette même puissante attention qu’elle avait quand, étudiante à l’université catholique de Louvain-la-Neuve, elle décroche son doctorat en économie mathématique du Centre de Recherche opérationnelle et d’Économétrie.

Ensuite, direction les États-Unis. Après un passage de trois ans à l’université du Michigan, elle part comme professeure invitée à l’université de Californie du Sud. Travaillant en parallèle à la Banque de la réserve fédérale de Minneapolis, Minnesota. Publiant également de nombreux articles sur la gouvernance et la politique budgétaire, entre autres.

Puis c’est le début de sa carrière internationale quand, en 1998, elle entre à la Banque Mondiale comme jeune cadre pour la région « Asie de l’est & Pacifique » en tant que coordinatrice sectorielle.  En 2007, retour à Washington comme conseillère de la très respectée Ngozi Okonjo-Iweala, devenue Directrice générale de l’institution après avoir été plusieurs fois ministre de son pays, le Nigéria. Ce qui ne n’empêche pas la jeune Vera de continuer les missions sur le terrain comme aux Philippines, au Cambodge, en Mongolie ou encore au Maroc.

En 2011, retour à plein temps vers l’opérationnel, comme patronne de la Banque mondiale pour le Sénégal, le Cap-Vert, la Gambie, la Guinée-Bissau et la Mauritanie. Une région où elle va étendre son périmètre de responsabilité quelque temps plus tard sur 23 pays, en 2016, prenant la direction du « Bureau Afrique de l’ouest et Afrique centrale » de la « Société financière internationale », filiale de la Banque mondiale en charge du privé. Entre temps, en 2013, cette brillante carrière lui vaut de faire partie, à 42 ans, des vingt jeunes femmes les plus influentes d’Afrique selon le magazine Forbes. Dès lors, il n’y a rien d’étonnant qu’en avril 2017, devenue Secrétaire générale-adjointe de l’ONU, elle prenne en charge la CEA, Commission Économique pour l’Afrique, institution chargée d’alimenter les stratégies des gouvernements africains en matière de développement. Selon le journal Le Monde, se référant au blog que Vera Songwe tient sur le site de la Brooklyn Institution, ses actions vont sans doute se concentrer en grande partie sur : « la fiscalité, les sources de financements innovants, l’agriculture, l’énergie et la gouvernance économique » [1]. Autant de sujets qui, pour elle, tiennent compte de la spécificité d’une grande partie de l’Afrique, comme elle l’a souligné lors d’un colloque à Marrakech : « 70% des actifs dépendent encore de l’agriculture. Ils travaillent trois mois par an et le reste du temps ils sont au chômage. Pour eux, qui continuent de vivre avec moins de 2 dollars par jour, notre débat sur la croissance est une illusion » [2], ramenant ainsi le débat sur des réalités concrètes, loin des théories fumeuses.

Femme d’action autant que de réflexion, elle définit des priorités réalistes. Ainsi, comme elle le déclarait lors d’un déjeuner-débat organisé en mars 2018 par l’Institut Choiseul : « La première priorité est de remplir les Objectifs de Développement Durable dans les dix prochaines années en installant d’abord une véritable stabilité macroéconomique. Ensuite par une mobilisation des ressources internes et la construction d’un secteur privé solide et moderne afin de créer des emplois pérennes ; tout en se souciant des populations les plus vulnérables ». La Secrétaire-générale de l’ONU est consciente plus que quiconque de la véritable épée de Damoclès que représente le défi climatique et ses conséquences tragiques sur une partie du continent. Avec, en point d’orgue, une stratégie volontariste sur l’Éducation – des femmes notamment –, comme elle le souligne au journal Financial Afrik : « Dans un pays comme le Sénégal, ils sont 100.000 jeunes à se retrouver annuellement demandeurs d’emploi. Vous remarquez que tout est lié, c’est pourquoi il faut développer davantage l’éducation en Afrique et passer avec succès l’étape de la transformation structurelle des économies africaines » [3].

Un secteur privé, partenaire essentiel, en fort développement grâce à la quatrième révolution industrielle, permettant à l’Afrique de faire un spectaculaire bond technologique. D’où émerge une nouvelle génération d’entrepreneurs, en profonde rupture avec les précédentes, tant sur la forme que sur le fond. De jeunes patrons qui ont permis l’émergence d’une classe moyenne ne cessant d’augmenter d’année en année. Un contexte d’autant plus encourageant que Vera Songwe veut également « jeter les bases institutionnelles nécessaires pour que se développe en priorité le commerce intra-africain ». Rappelant, lors de cette même rencontre, que le commerce entre pays africains est passé de 6 à 12% en quelques années seulement. En 2019, il atteignait 15,4% des échanges. À terme, elle espère arriver à 35% dans les quinze prochaines années. Mais elle doit s’armer de patience car une nouvelle adversaire au développement de l’Afrique a fait une brutale apparition : la Covid 19 et sa mortelle pandémie qui met nombre de pays du continent sur le fil du rasoir. D’où la nécessité de renégocier une dette qui s’est transformée en chausse-trappe pour nombre d’entre eux. Ce que sont en train de faire les cinq négociateurs – surnommés « les cinq fantastiques » mandatés par l’Union Africaine pour trouver un terrain d’entente avec leurs créanciers. Mais, parfois, les super héros ne suffisent pas. Il faut aussi, qu’à l’instar des héros d’Homère comme Athéna venait au secours d’Ulysse, qu’une déesse vient forcer le destin. Vera Songwe est de cette trempe qui entre alors en jeu. Comme le souligne Stéphane Ballong, le journaliste de Jeune Afrique : « Mais il y a aussi Vera Songwe qui s’est illustrée ces dernières semaines comme une médiatrice coriace dans le face-à-face qui oppose les Africains à leurs créanciers, notamment privés » [4].

On le voit, les chantiers macroéconomiques sont nombreux et la tâche immense, mais la très volontaire Secrétaire générale-adjointe des Nations Unies se plaît à citer la phrase de Nelson Mandela qu’elle a faite sienne : « It is impossible untill it is done », « C’est impossible jusqu’à ce que cela soit fait », exégèse de la formule de Churchill [5].

À voir sa force de caractère, on se dit qu’avec elle, rien n’est impossible. Surtout quand on vient de l’Olympe.

 

[1] Article de Laurence Caramel dans le journal Le Monde du 18 avril 2017

[2] Ibid

[3] Interview réalisée par Albert Savana pour Financial Afrik, en décembre 2017 à Niamey, à l’occasion de la réunion des ministres du Commerce africain.

[4] Article de Stéphane Ballong sur Jeune Afrique.fr du 12 juin 2020

[5] « Tout le monde disait que c’était impossible à faire. Puis un jour quelqu’un est arrivé qui ne le savait pas, et il l’a fait » (Winston Churchill)