Yannick Bolloré, « Le fils du flibustier »

C’est ainsi que le journaliste Adam Thomson qualifie Yannick Bolloré dans son article du Financial Time quand ce dernier prend les rênes du groupe Havas en 2013.

Et, même sans le connaître, les photos révèlent un regard profond et farouche qui a tout d’un Surcouf, le « corsaire breton au service de la France » qui a tant bataillé contre la marine anglaise, presque seul contre tous, pour aider la toute jeune République née de la Révolution de 1789 puis l’Empereur. Autre point commun, alors que le prestigieux navigateur avait définitivement raccroché pour s’occuper de ses terres, un autre jeune marin revenait de Chine avec le secret de fabrication du papier ultra-fin. Il installa à Quimper – d’où il était originaire – sa première usine. René Bolloré donnait naissance à une longue lignée d’entrepreneurs qui, en 2022, aura deux siècles. Si elle le souhaite, la famille pourra alors intégrer le très fermé et prestigieux club des Hénokiens, association qui regroupe les entreprises familiales en activité depuis deux cents ans et plus*. De cette longue histoire, il faut sans doute retenir le goût du challenge et l’envie d’aller au bout de l’aventure que l’on a entrepris. De ce côté-là, Yannick Bolloré ne déroge pas à la tradition familiale.

À peine diplômé de l’université Paris-Dauphine en 2001, il cofonde une société de production cinématographique, WY production qui, entre autres, a produit le biopic sur la vie d’Yves Saint-Laurent. Au-delà du succès en France, le film fera une carrière internationale.

Mais l’histoire familiale est la plus forte et, à la demande de son père Vincent Bolloré qui souhaite développer un pôle média d’importance, il rejoint le groupe en 2006 pour lancer la division média. Peu après, il prend directement les commandes de Direct 8 (l’actuelle C8), la toute jeune chaîne de la TNT encore quasi inexistante. Malgré la bonne volonté des équipes et la qualité des grands professionnels recrutés par Vincent Bolloré, comme Philippe Labro, sa moyenne d’audience est de 0,2% (1). C’est donc un sacré challenge que propose l’entrepreneur breton à son fils Yannick qui, depuis, compte également les quotidiens Direct Matin, Direct Soir, avec un objectif : atteindre le point d’audience d’ici à cinq ans. Il y arrivera en moins de trois ans et, en quatre ans, atteindra 2,5 % d’audience. En fait, en cinq ans, Bolloré Média (qui entre temps a acquis une autre chaîne de la TNT, D 17 devenue C Star), faisant de ce pôle média le premier groupe de télévision indépendant. Un groupe dont les chaînes cartonnent en même temps qu’elles dérangent. C 8 et le succès des émissions de Cyril Anouna qui ne se démentent pas. Ou C News (ex I Télé), la chaîne d’info en continu qui fait jeu égal avec les plus importantes grâce à une ligne éditoriale totalement assumée, quand bien même elle serait clivante et brocardée par les autres médias.

Cette même année 2006 (à marquer décidément d’une pierre blanche), il épouse Chloé Bouygues, la nièce de Martin avec laquelle il aura quatre enfants. Enfants qu’il accompagne lui-même à l’école comme le faisait son propre père ; un principe auquel il ne déroge jamais, sauf quand il est à l’étranger. Car le monsieur est un grand voyageur ; confiant au magazine Capital qui faisait son portrait en octobre 2016, qu’il est l’un des meilleurs clients d’Air France en cumulant plus d’un million et demi de miles. A fortiori depuis qu’il a pris également la responsabilité d’Havas, en 2013, toutes les filiales du deuxième groupe de communication français, sixième mondial.

Une entreprise qu’il restructure dès son arrivée en intégrant les marques et les métiers, alors qu’à ce moment-là, la tendance était plutôt à laisser chacun dans son périmètre. Mais il est parmi les premiers à comprendre que le monde est en train de basculer, comme il l’explique aux Échos en mars 2019 : « J’ai pris la décision d’intégrer nos marques et nos métiers, ce que personne ne faisait à l’époque, et de mettre le digital au cœur de notre stratégie, quand beaucoup en faisaient une division à part. Les résultats ont été extrêmement satisfaisants, nous avons désormais 20.000 collaborateurs, contre 15.000 à l’époque ». Et une présence dans plus de cent pays.

L’autre grand tournant intervient en 2017 quand il devient Président du conseil de surveillance de Vivendi. Poste occupé jusqu’alors par son père Vincent Bolloré qui fait une transition douce pour passer la main à ses enfants, chacun prenant en charge un des secteurs du groupe. Vincent Bolloré – annonçant par ailleurs qu’il ne souhaitait pas postuler pour un nouveau mandat au conseil de surveillance du groupe Vivendi – avait déclaré quelque temps plus tôt qu’il prendrait sa retraite le 18 février… 2022 ! Ce que ne croit pas son fils dans la même interview à Capital : « Le compte à rebours de mon père ? Je n’y crois pas une seconde ! (…) Je lui ai dit, tu verras, je viendrai en personne t’apporter ton petit déjeuner dans ton bureau de la tour Bolloré le 18 février 2022 ». Yannick Bolloré qui conserve en parallèle la présidence opérationnelle d’Havas. Car le lauréat 2019 du « Choiseul 100 »** ne veut pas se couper du terrain. « Il refuse de s’installer dans une bulle protectrice et prendre le risque d’être hors sol.  Et il adore aller chez les clients avec ses équipes », explique Stéphane Roussel, l’un des membres du Directoire de Vivendi et patron de Gameloft, l’un des leaders mondiaux des jeux en ligne. Car, même s’il continue de profiter des conseils de son père, comme un sportif écoute son coach, Yannick Bolloré suit son chemin bien à lui : « Il a son propre style », explique Stéphane Roussel, ajoutant : « Il s’inscrit sans complexe dans son héritage mais avec le regard et l’analyse d’un homme de son temps, mélange de jeunesse et de sérénité ». En ces temps anxiogènes de pandémie qui obligent à restreindre sorties en groupe et autres relations sociales, nul doute que ce secteur du jeu vidéo va faire de nouveaux adeptes, de nouveaux « gamers » comme on dit. Un autre choix qui paye. Comme souvent chez les grand patrons, Yannick Bolloré est aussi instinctif que stratège.

Il ne lui reste plus qu’à prendre le petit déjeuner avec Vincent, son père, un certain 18 février 2022 pour que les – désormais – deux Hénokiens célèbrerent une sacrée date.

*Le nom « d’Hénokiens » fait référence à Hénoch qui était un patriarche biblique. Père de Mathusalem et arrière-grand-père de Noé, il aurait vécu 365 ans (référence à l’année solaire) avant que Dieu ne l’appelle auprès de lui et en fasse le gardien des tous les trésors célestes et le chef des archanges. Cette association – sans but commercial, financier ou industriel – regroupe les entreprises familiales nées il y a plus de deux siècles et qui sont encore en activité aujourd’hui.

** Le « Choiseul 100 » met en avant les cent leaders économiques de moins de quarante ans à travers une série de critères précis. Avant Yannick Bolloré, parmi les précédents premiers du classement on trouve Emmanuel Macron en 2013 (alors Secrétaire général-adjoint de la Présidence de la République) et en 2014 (devenu Ministre de l’Économie), Angélique Gérard (patronne de la Relation abonnés et des centres de contact de Free) ou encore Frédéric Mazella (patron et fondateur de BlaBlaCar) et Bris Rocher (CEO du Groupe Rocher).