Maud Bailly, la générale de l’armée des petites lumières

« Dès mon arrivée j’ai parcouru le monde entier pour échanger avec les directeurs d’hôtels et leurs collaborateurs. Tout savoir sur leurs attentes et leurs suggestions, jamais les mêmes selon le pays et la région visités ».

Plus qu’un principe, il semble que ce soit une nécessité pour Maud Bailly d’être toujours dans le concret. Pour elle, à l’instar des gares, les hôtels sont des lieux de vie ; les seuls à être ouverts « H 24 ». Ils sont faits pour orchestrer le brassage des gens et se conjuguer en une multitude de métiers différents. Pas étonnant dès lors que son parcours la conduise tôt ou tard, à accepter de rejoindre le groupe ACCOR, l’un des leaders mondiaux de l’hôtellerie. « Comme à la SNCF, j’ai retrouvé ce joyeux fourmillement où se croisent une foule de destins ». Ajoutant avec humour : « Après les gares et les hôtels, on va me croire une passion pour le Monopoly ! ».

Déjà, cette brillante Normalienne, diplômée de Sciences Po. Paris et sortie de l’ENA « dans la Botte » (promotion République) pour intégrer la prestigieuse Inspection des Finances, ne rêvait que du terrain. Après quatre années dans l’Audit, elle rejoint Guillaume Pepy à la SNCF. Mais avant de prendre de hautes responsabilités – notamment directrice de la gare Montparnasse et directrice déléguée du produit TGV pour la région parisienne – elle a passé les six premiers mois à vendre des billets au guichet, à contrôler dans les trains et même à accrocher ou décrocher des wagons avec les agents de manœuvre. Un parcours initiatique bien utile quand, en 2014, le même Guillaume Pepy lui confie la responsabilité de la ligne de métier Trains. En clair, il s’agit de piloter le changement et la transformation managériale pour les 10.000 contrôleurs de la SNCF et les 3.000 agents d’escale du TGV.
Puis c’est Matignon. Deux années comme cheffe du Pôle économique du Premier ministre Manuel Valls. C’est ainsi, sous la houlette de Maud Bailly, que sont conçus les projets de loi sur le respect du consommateur et des citoyens à l’heure du digital. Cela aboutira aux nouvelles lois garantissant notamment le « droit à l’oubli numérique » qui permet au consommateur de ne plus donner – souvent d’ailleurs à son insu – des informations sur tous les aspects de sa vie ou la totalité de ses contacts. Ne plus être non plus harcelé par des mails de sites marchands, ou encore pouvoir se désabonner d’un site sans que cela ne devienne un véritable parcours du combattant. Quand Manuel Valls démissionne et annonce sa candidature pour la présidence de la République, elle est à nouveau disponible pour une nouvelle aventure. Maud Bailly a l’embarras du choix, on s’en doute.

Un choix qui ne doit rien au hasard

Même si elle reste très attachée au Service Public, l’opérationnel et le management des hommes lui manquent vite, persuadée par ailleurs que l’on peut servir aussi bien l’intérêt général dans le privé que dans le public.
Ce qui fut pensé fut fait. En février 2016, quand on lui demande le principal critère qui lui a fait choisir AccorHotels, elle répond : « Sébastien Bazin ». En effet, le PDG du groupe est en train de transformer son groupe à la vitesse d’un TGV afin de répondre à un monde désormais en mutation permanente. Pas question de s’endormir, donc. Ça lui va bien, car Maud Bailly a une capacité d’énergie équivalente à celle de New-York. Mais on ne change pas une méthode qui gagne. Alors, dès son arrivée chez ACCOR, elle reprend le principe du « parcours initiatique » pour tout connaître de sa nouvelle maison. Passant de femme de chambre à serveuse dans les cocktails ou réceptionniste dans les différentes catégories des hôtels possédés par le groupe, multipliant ainsi les facettes du groupe.

Et puis il y a sa mission, précisée en une phrase par son nouveau boss : « écris la nouvelle feuille de route de la transformation du groupe en matière technologique, digitale et aussi culturelle » ; et aies la pédagogie qui va avec. A l’heure d’Airbnb, d’Uber comme de Trip Advisor, le défi n’est pas mince. Autre signe fort de l’ampleur de sa mission : son équipe et elle, sont rattachées directement à Sébastien Bazin, et Maud Bailly fait partie du Comex (comité exécutif du groupe). En prime, le fait que AccorHotels soit une entreprise française qui permet au pays de rayonner partout dans le monde, a aussi pesé dans sa décision.
Reste qu’à l’heure des GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple) et autres licornes françaises (Priceminister, BlaBlacar, Meetic…), inscrire dans la modernité un groupe dont le métier existait déjà sous l’Antiquité est une gageure. Mais, quand on lui demande si elle n’aurait pas préféré un groupe plus « glamour » avec des entreprises apparemment « cool », Maud Bailly répond par une formule : « les disrupeurs d’hier seront tôt ou tard les disruptés de demain ». Autrement dit, personne n’a le monopole de l’innovation et un logiciel est forcément moins glamour que l’hôtel M Gallery Molitor, et moins branché que le Sofitel Berlin avec son architecture à la fois sobre et audacieuse, réalisée par Jan Kleihus, primé pour cet ouvrage.

Mais le « grand œuvre » de Maud Bailly s’appelle « Impact ». Réalisé en co-construction avec les utilisateurs sur le terrain, il s’agit de mettre en place une stratégie digitale globale. Exemple avec la récente mise en place d’une base de données qui reliera tous les hôtels du groupe dans le monde afin d’obtenir une meilleure connaissance de chaque client – savoir s’il boit de l’eau plate ou gazeuse, s’il préfère les mandarines ou les spécialités locales, bref tout ce qui peut permettre de mieux cibler ses attentes et personnaliser son arrivée. Mais ces données resteront confidentielles et seulement accessibles aux personnes autorisées. Pas question de faire comme nombre de sites qui revendent les informations collectées plus ou moins élégamment sur vous : « le groupe AccorHotels a des valeurs et c’est aussi cela qui m’a séduite ». Un challenge qui, selon elle, n’aura de sens qu’à partir du moment où chaque collaborateur du groupe, quels que soient son niveau de responsabilité et son métier, se sera approprié « Impact ». C’est là qu’interviennent les deux dimensions, pédagogique et culturelle : incarner la première en parcourant inlassablement le monde pour expliquer son projet, et du même coup, nourrir la seconde.

Une énergie payante pour celle qui évoque le « principe de Maud » : en matière digitale, à l’instar d’un sachet de thé, chacun n’existe que dans sa propension à se diffuser et être approprié. Comme le souligne le journaliste de Forbes, Jean-Jacques Manceau : « Nul ne sait si c’est ce concept qui a séduit les jurés qui lui ont remis un Next Leaders Award en 2018, mais une chose est sûre, Maud Bailly est désormais l’une des femmes digitales les plus suivies et les plus observées. Les plus jalousées, peut-être aussi ».

Les « petites lumières »

Et puis, il y a la femme. « Maud Bailly, c’est une bulle de vie avec une impressionnante vivacité d’esprit, une incroyable capacité de travail et une éthique à toute épreuve » dit d’elle Angélique Gérard, la présidente des centres de contact Free, lauréate du Choiseul 100 en 2015, qui consacre les jeunes leaders d’avenir. Étoile montante – et maintenant largement confirmée – du business au féminin, elle faisait partie du jury qui a désigné Maud Bailly, en 2016, lauréate du prix de la femme d’influence dans la catégorie « Politique espoir ». Auquel s’ajoute donc, l’année suivante, le « Prix du Leadership » dans la catégorie espoir aussi. Depuis leur première rencontre, elles sont devenues amies et échangent régulièrement, partageant une grande confiance dans leurs jugement respectifs. Angélique Gérard retient également de Maud « le temps qu’elle consacre à aider les autres pour leur permettre de réussir leurs études ou leur carrière ». C’est pourquoi, ayant intégrée le Conseil National du Numérique, elle y défend ses convictions en matière de mixité sous toutes ses formes. En relançant un programme propre à ACCOR, le « Women at AccorHotels Generation » chargé de lutter contre les dérives sexistes notamment.

Autant de jardins secrets de Maud qu’elle n’aime pas trop mettre en avant ; le bien ne faisant pas de bruit. Consentant juste à estimer qu’elle ne fait que rendre ce qu’elle a reçu.
Ayant été accompagnée et soutenue quand elle-même, ne venant pas des quartiers huppés de la capitale, a été confrontée à des condisciples qui maîtrisaient tous les « codes » des prépas, le saint des saints de l’élite. Depuis, elle demande à chaque personne aidée d’en aider une dizaine d’autres en retour : « à force, j’aurai en moi une armée de petites lumières », comme autant de soleils.